Le Prix Marcel Duchamp 2018 à la Cité
Tout récemment récompensé du Prix Marcel Duchamp 2018, l'artiste et réalisateur Clément Cogitore travaille avec la Cité internationale de la tapisserie et l'Atelier A2 à Aubusson pour le lancement de la réalisation de sa première œuvre tissée, destinée aux collections de la Cité de la tapisserie, après plusieurs mois de préparation.
La Cité internationale de la tapisserie travaille activement pour la création contemporaine en tapisserie d'Aubusson, à travers des projets de créateurs qui comptent sur la scène française. Elle lance cet automne le tissage d'une œuvre de Clément Cogitore qui s'est vu décerner le Prix Marcel Duchamp 2018 le 15 octobre dernier au Centre Georges Pompidou, par l'Association pour la diffusion internationale de l'art français (ADIAF). Pour Bernard Blistène, directeur du Musée national d'art moderne - Centre Pompidou, "son œuvre témoigne d'un regard aigu sur les sujets les plus contemporains". Le dossier de Clément Cogitore a été défendu auprès du jury du Prix Marcel-Duchamp par Jean-Charles Vergne, directeur du FRAC Auvergne. Créé en 2000 par l’ADIAF, ouvert aux artistes français et résidant en France, le Prix Marcel Duchamp compte parmi les grands prix nationaux de référence sur la scène internationale. Il a distingué à ce jour 70 artistes et 17 lauréats. Comme l'a précisé Gilles Fuchs, président de l'ADIAF, "c'est la première fois que le Prix Marcel Duchamp consacre un artiste dont l'œuvre est souvent considérée comme appartenant au septième art".
Son regard novateur de cinéaste, son questionnement sur l'image, font sens dans le cadre de la création destinée aux collections de la Cité de la tapisserie. Cette collaboration est le fruit de la volonté du directeur de la Cité internationale de la tapisserie Emmanuel Gérard et de sa rencontre avec l'artiste dès 2013 (par l'intermédiaire de Jérémy Planchon et Camille de Bayser), ce qui a permis de mûrir le projet de tapisserie jusqu'au démarrage des travaux préparatoires en 2017.
Après Mathieu Mercier, Prix Marcel-Duchamp en 2003, Eva Nielsen, ou encore Jean-Baptiste Bernadet pour la collection "Carré d'Aubusson", ce projet est révélateur de l'intérêt grandissant du monde de l'art contemporain pour la tapisserie, considérée comme un medium à part entière dans le travail pluri-media des artistes de la jeune scène contemporaine.
Des captures d'écran à la matérialité du tissage
Pour son projet de tapisserie, Clément Cogitore puise son inspiration dans les images d’actualités des émeutes de 2011 sur la place Tahrir au Caire, en Égypte.
« Ce projet s’inscrit dans la lignée de mon travail autour d’images très peu définies, circulant en réseau suscitant récits, croyances ou superstition chez le regardeur par son absence de détails. Par le manque d’information qu’elle communique, l’image devient alors un support de projection de l’imaginaire du spectateur, ouverte à tous les possibles. »
Travaillant à partir de captures d’écran très agrandies, Clément Cogitore s’intéresse aux relations entre l’image numérique et la tapisserie dans leur rapport commun au pixel. La découverte des savoir-faire, des techniques propres à la tapisserie, a été envisagée comme un temps préparatoire essentiel à la création de la maquette.
La création de cette maquette et la mise au point du carton a ainsi représenté l'aboutissement d'un process de maturation du projet de tissage, mis en place par la Cité de la tapisserie dans le cadre des créations contemporaines : un long travail d'itération, d'échanges entre Clément Cogitore et le comité de tissage constitué par Bruno Ythier, conservateur de la Cité de la tapisserie et Delphine Mangeret, cartonnière, avec le concours des lissiers retraités, Alain Chanard et René Duché, afin de déterminer les choix de couleurs et de matières, de définir le "grain" de la future tapisserie (le calibre du tissage). L'enjeu technique consiste à interpréter une image numérique très peu définie, si compressée que les détails en sont absents, et de la traduire en un tissage assez large, donnant une présence forte au textile, dans des dimensions importantes : 5 x 2 m.
La Cité de la tapisserie a lancé un appel d'offres auprès des ateliers de la région d'Aubusson-Felletin en s'appuyant sur un cahier des charges précis. C'est l'échantillon de l'Atelier A2, dirigé par France-Odile Perrin-Crinière à Aubusson, qui a su convaincre l'artiste et le jury de la Cité de la tapisserie. Artiste et lissières travaillent ensemble au calage du tissage. L'œuvre ne sera ensuite révélée qu'au printemps prochain dans le cadre d'une installation de l'artiste au sein de la Cité de la tapisserie.
Né en 1983 à Colmar, Clément Cogitore vit et travaille à Paris. Il est représenté par la Galerie Eva Hober (Paris) et la Galerie Reinhard Hauff (Stuttgart).
Après des études à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg et au Fresnoy-Studio national des arts contemporains, Clément Cogitore développe une pratique à mi-chemin entre cinéma et art contemporain. Mêlant films, vidéos, installations et photographies, son travail questionne les modalités de cohabitation des hommes avec leurs images, il y est question de rituels, de mémoire collective, de figuration du sacré...
Clément Cogitore a été récompensé en 2011 par le Grand prix du Salon de Montrouge, puis nommé pour l’année 2012 pensionnaire de l’Académie de France à Rome-Villa Médicis. En 2015 son premier long-métrage Ni le ciel, Ni la terre a été récompensé par le Prix de la Fondation Gan au Festival de Cannes – Semaine de la critique. Il a été nommé aux Césars 2016 dans la catégorie Premier film. Il a obtenu en 2016 le Prix Sciences Po pour l’art contemporain, ainsi que le Prix de la Fondation Ricard : deux de ses œuvres ont ainsi été sélectionnées pour intégrer la collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Son travail a été exposé à l’été 2016 au Palais de Tokyo. Premier lauréat du Prix le BAL de la Jeune Création avec l’ADAGP pour Braguino ou La communauté impossible, ce projet lui a également valu la mention spéciale du Grand Prix de la compétition internationale du FIDMarseille en juillet 2017. Enfin, nommé aux côtés des artistes Mohammed Bourouissa, Thu Van Tran et Marie Voignier, Clément Cogitore a remporté le Prix Marcel-Duchamp 2018, le 15 octobre dernier.
L'acquisition de la maquette de Clément Cogitore, qui intègre ainsi les collections "Musée de France" de la Cité de la tapisserie, est soutenue par la Fondation d'entreprise AG2R La Mondiale pour la vitalité artistique. Cette fondation d'entreprise dédiée au mécénat culturel s'engage en faveur des territoires, pour la préservation du patrimoine culturel régional, matériel et immatériel, la valorisation de la création contemporaine, ainsi que la promotion des métiers d’art.
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Un manteau pour la collection "Aubusson tisse la mode"
La tapisserie est un "tissu" utilisé de tout temps pour habiller les corps avant même les murs... Inspirer les créateurs de mode pour créer une collection de vêtement et accessoires de mode, tels étaient les objectifs de l’appel à projet de la Cité de la tapisserie « Aubusson tisse la mode » lancé en 2015, et qui avait récompensé 6 créateurs. Une nouvelle pièce de cette collection "mode" vient d'être révélée en présence de sa créatrice Capucine Bonneterre.
Nécessitant un travail important de recherche et d'adaptation à travers les échanges entre les artistes et les lissiers, les tissages des six pièces lauréates se succèdent. Les deux premières pièces lauréates, le Blouson Teddy de Christine Phung et Libramen Forma de Prisca Vilsbol et Dagmar Kestner sont tombées du métier au printemps 2018. Le 15 octobre dernier ce fut le tour du manteau japonisant de Capucine Bonneterre, réalisé par la jeune lissière Aiko Konomi de l'Atelier A2.
Pour créer cet élégant manteau, Capucine Bonneterre s'est appuyée sur le principe d'une pièce tissée d'un seul tenant, entièrement pensée en tapisserie. Elle a également souhaité mettre en avant l'analogie entre les "relais" – interruptions du tissage qui permettent les changements de couleurs – et le principe de la boutonnière. Assemblé sans coutures de finitions, par un système de pliage puis maintenu en place par le laçage et le tressage du réseau de boutonnières, le manteau, réversible, peut être porté d'une multitude de façons et donne à voir la matérialité de la tapisserie en présentant certaines parties de son envers foisonnant.
Pour sa réalisation, c'est une véritable collaboration qui s'est mise en place entre l'Atelier A2 et l'artiste, pour expérimenter pas à pas une réalisation sur mesure : tout d'abord l'emploi d'une chaîne de laine afin de préserver la souplesse du vêtement, mais également pour l'agencement en motifs des couleurs de laine et de soie obtenues en teinture naturelle. Jeux de battages et de lumières, entre soies brillantes et laines mates, cette pièce délicate est résolument "tapisserie", entièrement pensée pour éviter l'intervention d'un autre façonnier. Après avoir libéré la tapisserie du métier à tisser, les lissières et la créatrice s'attèlent aux finitions et à l'assemblage du vêtement : rentrer, sur les bordures, chaque fil de chaîne dans la trame, puis assembler les centaines de boutonnières, grâce au système de liens et de ceintures tissés.